Par Gabriel Lévesque
Lors de l’élection de novembre 2020 aux États-Unis, les électeurs du New Jersey, de l’Arizona, du Dakota du Sud et du Montana ont voté par référendum en faveur de la légalisation du cannabis. De leur côté, les électeurs de l’Oregon ont voté en faveur de la décriminalisation de toutes les drogues. Mais quelle est la différence entre légaliser et décriminaliser ?
Lorsqu’un État décriminalise une drogue, il adopte un ensemble de mesures édictant une certaine tolérance vis-à-vis sa possession simple et/ou de sa consommation. Attention toutefois : il demeure illégal de vendre ou de distribuer la drogue en question. Seules la possession ou la consommation ne sont plus considérées comme des infractions en vertu du code criminel. Dans certains cas, la possession demeure interdite même si non criminelle (de faibles amendes peuvent être données aux fautifs) ; dans d’autres cas, la possession est complètement dépénalisée (aucune sanction ne peut être donnée). Prenons deux exemples :
Dès la fin des années 1960, plusieurs États fédérés des États-Unis décriminalisent la possession simple de cannabis[1]. Dans ces États, un individu ayant été arrêté pour possession simple de cannabis ne peut être poursuivi en justice. Selon les lois en vigueur, il peut recevoir ou non une amende. Toujours selon les lois en vigueur, les récidives sont considérées ou non comme criminelles. En somme, cela permet d’éviter que la simple consommation de cannabis ne résulte en une peine de prison ou un dossier criminel.
En 1976, le gouvernement des Pays-Bas a adopté une politique dite « de tolérance » du cannabis dans le cadre de la refonte de ses lois sur les drogues. Les drogues ont été divisées en deux groupes, soit celles comportant des risques vus comme inacceptables (ex : héroïne) et celles comportant des risques vus comme acceptables (ex : cannabis). En pratique, la politique s’est traduite par l’émergence de « cafés » où la vente et la consommation de cannabis sont tolérées. Cette politique est issue d’un effort gouvernemental de mettre de l’avant la santé publique et la normalisation plutôt que la répression et la stigmatisation. Toutefois, il semble qu’au cours des trois dernières décennies, plusieurs nouveaux outils de répression (ex : présence policière accrue autour de la consommation de drogues) aient modifiés substantiellement la manière dont la politique est mise en oeuvre. Plusieurs règlements resserrant l’encadrement des cafés ont aussi été mis en place [2].
Au Portugal, toutes les drogues sont décriminalisées depuis 2001. Dans les décennies précédentes, le Portugal était aux prises avec de graves problèmes de santé publique liées aux surdoses de drogues. La solution mise de l’avant fut la décriminalisation et le financement massif de programmes destinés au traitement des troubles de dépendance. Au lieu de criminaliser les consommateurs, ceux-ci sont référés aux services de santé appropriées. Au terme d’une vingtaine d’années de mise en œuvre de cette politique, l’on souligne généralement son succès. Par exemple, le problème des surdoses a chuté considérablement à la suite de la décriminalisation [3].
Au Canada, l’Association des chefs de police canadiens [4] et des experts en santé publique [5] ont suggéré en 2020 de décriminaliser toutes les drogues. Cela ne signifie pas qu’ils proposent de vendre de la cocaïne ou des opioïdes à la SQDC… Ce qu’ils proposent, c’est d’arrêter de traiter les consommateurs comme des criminels. En d’autres mots, il s’agit (1) de reconnaître que de consommer des drogues n’est pas un crime et (2) de reconnaître que la consommation problématique de drogues doit être traitée avant tout comme un problème de santé.
La légalisation d’une drogue signifie d’encadrer légalement son usage, sa production et sa vente. Pensons à l’alcool. Au Québec, l’alcool est légalement vendu en magasin, peut être légalement consommé par les adultes de 18 ans ou plus et sa production, sa distribution et sa vente sont encadrées par des lois et des règlements. En outre, le produit est normalisé : bien que l’alcool soit une drogue dont les méfaits sont importants, l’encadrement de la substance nous amène à la concevoir comme pouvant faire partie d’une mode de vie « normal » lorsque consommé avec modération. Puisque la consommation d’alcool est considérée comme une norme socialement acceptable, elle n’est pas considérée comme un comportement « en marge » ou « moralement inacceptable ».
L’alcool, le tabac et le café font partie des drogues à des fins récréatives les plus communément légalisées dans le monde. Au 21e siècle, plusieurs États ont fait entrer le cannabis parmi la courte liste des drogues légales. En Uruguay, le cannabis est légal ainsi depuis 2013. Aux États-Unis, 15 États fédérés et le District de Washington ont légalisé le cannabis depuis 2012. Au Canada, le cannabis à des fins récréatives est légal depuis le 17 octobre 2018. Cette tendance ne doit cependant pas masquer les débats sociaux qui demeurent entourant la consommation de drogues, comme en témoigne le référendum tenu en 2020 en Nouvelle-Zélande, où la population a décidé de rejeter la légalisation du cannabis [6]. Entre prohibition, décriminalisation et légalisation, l’encadrement des drogues sera certainement un champ d’action des États en effervescence au 21e siècle.
[1] Bonnie, Richard J., & Charles H. Whitebread II (1974). The Marihuana Conviction. A History of Marihuana Prohibition in the United States. Charlottesville : University Press of Virginia.
[2]Ooyen-Houben, Marianne & Edward Kleemans. (2015). Drug Policy: The Dutch Model. Crime and Justice: Review of Research, vol. 44, p. 165-226.
[3] Goulão, João Castel-Branco. (2019). « The Portuguese Experience with Decriminalization », dans High Time. The Legalization and Regulation of Cannabis in Canada, Andrew Potter & Daniel Weinstock (Chapitre 14, p. 218-230), Montréal & Kingston : McGill-Queen’s Press.
[4] Bronskill, Jim. « Décriminalisez les drogues, disent les chefs de police du Canada », La Presse, 9 juillet 2020. <https://www.lapresse.ca/actualites/national/2020-07-09/decriminalisez-les-drogues-disent-les-chefs-de-police-du-canada.php>.
[5] Dufresne, Jacques. « Décriminaliser les drogues, un débat aux enjeux multiples » Boulevard du Pacifique, 15 juillet 2020. <https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/boulevard-du-pacifique/segments/entrevue/188932/decriminalisation-drogues-police-table-ronde>.
[6] Le camp du « non » a remporté ce référendum par une très faible marge, soit 50,7 % à 48,4 %. Voir Roy, Eleanor Ainge. « New Zealand narrowly votes no to legalising cannabis in referendum », The Guardian, 6 novembre 2020. <https://www.theguardian.com/world/2020/nov/06/new-zealand-narrowly-votes-no-to-legalising-cannabis-in-referendum>.